Le terme d’Etat fait d’emblée problème. Thucydide parlait des relations entre les cités et également entre les tribus. Ce sont des unités partielles qui ont une structure, une hiérarchie et une culture propres. L’équivalent à notre échelle est l’Etat national. Depuis la Seconde Guerre mondiale, on a pu observer une émergence de l’individu, et conséquemment, d’une « démocratie de l’individu », démocratie libérale centrée sur l’individu. Dans les relations internationales, l’individu est la victime, puisque la raison d’Etat ne suffit plus. Comme chef d’Etat, l’individu est aussi responsable. On constate donc une montée en puissance de l’individu comme acteur. Parallèlement, l’universel est devenu un nouveau critère international : le déclin des idéologies entraîne le souci de l’irruption d’une morale universelle, et la mondialisation exerce une influence économique et culturelle sur toutes les sociétés. Il existe donc bien un souci de l’individu et un souci de la planète, mais pas de politique de l’individu ou de la planète. L’essence de la politique est l’appartenance à un Etat, qui définit le « nous » pour lequel on paie des impôts et on accepte de mourir. Cette, appartenance implique des solidarités et des hostilités internationales. On assiste en fait actuellement à la prolifération de la notion d’appartenance à des groupes ou réseaux (y compris les mafias, les réseaux d’espionnage, etc).
Les acteurs
Quand on cherche à savoir ce qui meut les acteurs des relations internationales, la réponse intuitive se formule en termes d’intérêts, mais encore faudrait-il préciser des intérêts de qui l’on parle. Pour la diplomatie classique, il s’agit de l’intérêt national. Churchill, parlant de l’URSS avait utilisé l’expression de « enigma wrapped in mystery ». Peut-on dire que Staline ou Mao auraient défini leurs intérêts nationaux respectifs comme les tsars ou les empereurs ? Aux yeux de l’observateur réaliste, c’est la confrontation entre les États partisans du statu quo et les États révisionnistes qui mit fin à l’ordre de Versailles. Pour E. H. Carr, c’est l’ordre international qui avait refusé de voir que la moralité était le produit de la puissance, et, à partir de là, qu’il n’était pas surprenant que les puissances insatisfaites déclarent la guerre aux platitudes sentimentalistes et malhonnêtes des puissances satisfaites. Les fins poursuivies par les États, leurs motivations sur la scène internationale, étaient donc un objet de préoccupation de premier ordre pour l’analyse réaliste. Tout en proclamant que tous les États pratiquent la politique de puissance, les réalistes précisent cependant que certains de ces États la pratiquent différemment des autres.. Morgenthau, par exemple, observait que la quête de la puissance comme principale finalité des États pouvait donner lieu à trois types de politique étrangère : a) une politique de statu quo, destinée à conserver sa puissance ; b) une politique d’impérialisme, destinée à augmenter sa puissance ; c) une politique de prestige, destinée à afficher sa puissance
Les théories libérales et marxistes défendent deux conceptions différentes de la justice. La notion d’intérêt général est un concept ambigu. S’agit-il par exemple de l’intérêt du régime, de la France, ou des Français ? Ou encore de l’intérêt de classe ? Dans la dialectique qui décrit les intérêts, les idées et les passions, on ne parle pas assez, selon Pierre Hassner, de tout ce qui concerne les passions. Mais peut-on passer de la psychologie individuelle à la psychologie collective ? Les identités collectives ont perdu de leur évidence aujourd’hui : elles sont en compétition avec le genre, la classe, l’ethnicité, l’Europe, la civilisation…Selon la thèse de Huntington, le XIXe siècle a été celui du choc des nations, le XXe siècle celui du chos des idéologies, et le XXIe siècle sera celui du choc des civilisations, dans lesquelles la dimension religieuse est prépondérante.
Les relations
Il convient de considérer à la fois :
-L’interaction des stratégies (diplomatico-militaires surtout, mais aussi relevant de l’économie ou de la propagande).
-L’interdépendance des intérêts.
-L’interpénétration des sociétés, par le mouvement des hommes, des biens, de l’information.
Les acteurs collectifs n’échappent pas aux influences de l’extérieur. Leurs relations s’apparentent moins au jeu de billard qu’au jeu d’échecs, où les pions s’interpénètrent et changent d’identité. En lien avec la logique de la théorie des jeux, on peut distinguer :
- Le système de menace, basé sur la dissuasion.
- Le système d’échange, essentiellement économique.
- Le système d’intégration, qui postule des intérêts communs : soit l’on paie pour des personnes d’un autre pays, soit l’on se constitue des forces de défense communes. On peut néanmoins se demander si l’international comme tel existe encore. Est-on aujourd’hui face à un système global ou international, celui-ci étant une dimension particulière de celui-là ? Les termes de « système », de « communauté », d’ « ordre » sont en concurrence. Peut-on parler de « communauté internationale » ? Probablement pas pour l’ONU, en tout cas, qui est une organisation dont les décisions sont prises par l’Assemblée ou le Conseil de Sécurité. Il ne s’agit donc pas d’une communauté. Il existe en revanche des communautés particulières, et il existe une société des Etats, ayant des règles communes pour la circulation des avions, des bateaux, du courrier, pour la gestion des monnaies et des équilibres stratégiques. Le terme d’ « ordre international» implique une certaine légitimité. Or qui la décrète et la modifie ?Il existe également des sous-systèmes régionaux ou fonctionnels (monétaires, énergétiques).
Les processus
Les théories des relations internationales raisonnent en termes d’interdépendance, et sous-tendent l’idée implicite du processus de la naissance, du développement et de la montée d’une puissance. Les métaphores les plus communes parlent fréquemment des os ou des muscles des gouvernements. K. Deutsch, dans The nerves of governments, décrit les gouvernements comme des systèmes nerveux, du fait de leur capacité à diriger. Aux XVIIIe et XIXe siècles, la pensée est influencée par le mécanisme de Newton et les automates. On parle d’équilibre des forces (à l’intérieur) et d’équilibre des puissances (à l’extérieur). Le terme de puissance désigne ici : - Quelque chose que l’on a, une certaine quantité d’énergie. - La puissance comme relation entre A et B.- Le système qui en résulte et la manipulation du système.- Enfin, selon K. Deutsch, la manière dont l’équilibre se produit entre passé et présent, et entre intérieur et extérieur. La notion de légitimité n’entre pas dans les conceptions mécanistes. H. Kissinger distingue deux dimensions : la puissance et la légitimité. Sans cette notion de légitimité, la toute-puissance est fragile. On peut également se référer à la classification des régimes politiques par Aristote, qui a recours à deux critères : combien de personnes ont le pouvoir (un seul, plusieurs ou tous) et comment ce pouvoir est exercé (conformément à la loi, pour l’intérêt de tous ou pour l’intérêt d’un seul). Dans le monde des Etats que nous connaissons, différents systèmes sont possibles :
- La bipolarité du temps de la Guerre froide.
- Le condominium, dont on a vu une esquisse pendant l’entente des deux Grands contre la prolifération nucléaire.
- Le balance of power.
- Le concert des puissances (lors du congrès de Berlin).
- Enfin l’unit veto system que l’on peut résumer par la formule : « chacun pour soi et la bombe pour tous ». Chaque acteur peut ainsi se défendre contre tous les autres. Il existe aussi des sous-systèmes régionaux, comme par exemple le Moyen-Orient, qui est ensuite dévié ou traversé par une logique globale ou bipolaire. Les espoirs de voir s’affirmer les logiques régionales à la fin de la Guerre froide ne sont toujours pas satisfaites. L’ONU offre tout de même des possibilités pour les petits de s’opposer aux grands, mais ne ressemble nullement au unit veto system. A la fin de la Guerre froide, des projections concurrentes émergent. On peut distinguer six modèles, plus ou moins conflictuels ou coopératifs :
Les modèles coopératifs :
1/ Le nouvel ordre mondial de George Bush (puis de Jacques Chirac), qui appelle à l’action de la communauté inter nationale contre la Guerre du Golfe.
2/ La fin de l’histoire, selon Fukuyama. Une fois les concurrents de la démocratie libérale et capitaliste vaincus, il n’y aurait plus ni grande guerre, ni révolution. Les nationalismes, les fanatismes religieux en sont une survivance à l’intérieur mais dans les grandes lignes, la route est tracée.
Les modèles conflictuels :
1/ Le retour au nationalisme. C’est la théorie de Nixon et Kissinger, qui décrivent un monde des cinq puissances, comme le modèle du concert européen à la Bismarck. Elle prévoit un retour à la rivalité des nations, comme avant la Guerre froide et avant 1914.
2/ Le modèle de Huntington : le conflit des civilisations. Il définit six ou sept civilisations, et trace les grands niveaux des conflits. Cette théorie est résumée par la formule « The West against the rest », et prédit des conflits entre Juifs et Chrétiens d’une part et Musulmans d’autre part, ainsi que des conflits opposants les riches aux pauvres.
Les modèles mixtes :
1/ La violence moléculaire et globale, qui découle d’une désintégration des structures, et se nourrit d’elle-même.
2/ La division du monde entre centre et périphéries : au centre stable et pacifique, où la guerre est impossible, s’opposent les périphéries en proie aux révolutions, aux guerres et aux nettoyages ethniques. Il n’y a pas d’opposition entre ces deux mondes, à la différence de ceux que décrit Huntington. L’un n’est pas non plus l’avenir de l’autre, comme dans le modèle de Fukuyama. Il s’agit de deux mondes à part, de deux logiques à part. Parfois les acteurs du centre peuvent en sortir pour défendre un intérêt ou pour faire cesser une horreur trop criante, malgré de nombreuses productions scientifiques suscitées en Occident, nous constatons que le nombre d’études sur la politique étrangère des états périphériques reste très faible aujourd’hui. Déjà lié dans le passé à l’inadéquation des appareils théoriques classiques de relations internationales, ce déficit scientifique peut être attribué désormais à un certain européocentrisme persistant. Nous trouvons souvent des modèles dérivés de l’école de la dépendance, mais des études plus empiriques ont montrés que certaines harmonies ou certaines coïncidences observables entre politiques étrangères du centre et de la périphérie, ne provenaient pas nécessairement de la seule docilité ou du seul suivisme imposé par la dépendance économique. C’est là que l’on retrouve le discours des élites. Que cela donne pour résultat l’observation d’un suivisme des politiques étrangères du Sud, ou au contraire l’expression d’une volonté de rupture par rapport aux normes des États du nord, la redécouverte du rôle de la culture, de la perception, demeure tout aussi pertinente. Le modèle de la dépendance, par exemple, dans son utilisation possible en matière d’analyse de la politique étrangère, se décline en quatre variantes. Aux deux premières qui sont aussi les plus attendues (les modèles de l’obéissance et du consensus), s’en ajoutent deux autres (ceux de la contre-dépendance et de la compensation), celles-ci s’intéressent aux politiques étrangères des États périphériques qui s’éloignent des directions souhaitées par les États du Nord. Ces écarts de conduite sont alors interprétés soit comme le résultat d’une frustration des élites de l’État périphérique par rapport è leur propre situation de dépendance vis-à-vis du Nord, soit comme le résultat d’une stratégie élaborée par ces mêmes élites pour compenser leur déficit de légitimité politique interne. Reste le risque de continuer à surévaluer les variables systémiques et de plaquer l’habituelle vision stato-centrée sur la politique étrangère des pays du Sud. Ce risque est d’autant plus dangereux que toute une série d’études consacrées aux États périphériques montre que l’État n’est pas l’acteur central du système, mais plutôt le principal problème d’analyse.
L’exemple de plusieurs politiques étrangères africaines illustre à quel point ce postulat classique d’une différenciation entre l’interne et l’externe peur s’avérer absurde. En effet, lorsque des élites qui peuvent être criminelles, et ou miliciennes, se sont appropriés les appareils d’État, dans un contexte où de violents conflits internes ont opposé la société aux représentants de l’État, et alors que la fiction de l’intégrité territoriale de l’État n’est parfois maintenue que par l’intervention de forces extérieures, la différence entre l’interne te l’externe semble tout particulièrement obsolète. Même dans les États africains qui ne sont pas déchirés par des guerres intestines, la dichotomie entre l’action politique interne et externe fait souvent peu sens, lorsque leurs dirigeants se trouvent dans l’obligation à la fois de sacrifier à une culture globale de bonne gouvernance, et d’observer des normes d’interaction sociale locales et régionales parfois incompatibles. Dans le monde musulman, pour évoquer un autre exemple, certaines institutions étatiques importées sont en conflit avec une culture politique traditionnelle dans laquelle les communautés politiques et religieuses ne sont pas strictement distinctes. La subdivision d’un état monolithique en différentes unités y est alors en extrême contradiction avec l’idéal d’une nation arabe dans certains cas, d’une communauté de croyants transnationale dans d’autres, ce qui induit, en politique étrangère, de multiples conflits d’intérêt et de nombreuses dissonances. Ces observations sur les États périphériques nous ramènent à notre hypothèse initiale : la compréhension de la politique étrangère, au sens où on l’entend le plus souvent, est liée à l’émergence de l’État moderne occidental. Son analyse la plus répandue, fondée sur une séparation claire entre politique interne et politique externe, est bien liée à l’histoire de la formation des États européens, histoire qui donne toujours lieu à l’idéal type de référence lorsque l’on dit « État ». Or la logique sociale de développement qui a sous-tendu le processus d’étatisation à l’européenne n’est pas complètement universalisable, ni donc applicable dans le cadre d’une conceptualisation abstraite et générale de la politique internationale. L’État territorial et national, caractérisé par le monopole de la violence physique légitime ou celle de la levée de l’impôt, son caractère légal rationnel, ne sont que les produits tardifs d’un processus très précisément daté et localisé. Pourtant, cela donne lieu à de nombreux malentendus, toujours vivaces lorsqu’il s’agit d’analyser la politique étrangère d’États non occidentaux.
Par exemple, le rôle central que joue la question le rôle central que joue la question de la sécurité dans l’analyse de la politique étrangère occidentale reste le produit de la formation conflictuelle et violente des États européens. Le processus de pacification des conflits sociaux internes et l’émergence d’un pouvoir politique démocratique y étaient accompagnés de conflits interétatiques répétés qui ont contribué non seulement à renforcer le pouvoir politique national mais aussi à consolider une nette séparation entre l’interne et l’externe. La pacification interne et la guerre externe menèrent à une dépendance mutuelle entre l’État et la société : la société exprimait un besoin de sécurité que seul l’État pouvait satisfaire, tandis que l’État justifiait son accès aux richesses économiques de la société par la production de sécurité. C’est ainsi que se développa un concept de sécurité reposant en grande partie sur des besoins sécuritaires concordants exprimés par l’État et la société. Cette convergence manifeste, dans l’État national européen, de la nation, de l’État et de la société ne se retrouve pas nécessairement ailleurs. En outre, le mécanisme des rentes politiques et économiques inhérentes au système international postcolonial a largement empêché que se développent dans les États périphériques, des mécanismes de dépendance sociale mutuelle similaires à ceux qui caractérisent le modèle européen. Au contraire, la persistance de régimes autoritaires dans certains États périphériques peut être vue comme résultant du fait que dans bien des cas, l’État et la société se considèrent comme des menaces réciproques. La domination étatique et sa mainmise sur la politique étrangère sont donc souvent perçues moins comme un garant de la sécurité que comme une coercition. Les particularités sociales et historiques du processus de formation étatique européen expliquent également l’émergence, la nature et la fonction du concept d’intérêt national, si populaire dans l’analyse des politiques étrangères occidentales. La projection de ce concept sur l’étude des États périphériques pose donc elle aussi problème, dans un Sud où la formation de l’État a connu des circonstances historiques si particulières. La formation des États postcoloniaux ne s’est pas faite dans un contexte anarchique de luttes entre États voisins, mais au contraire dans un ordre politique international préétabli par les puissances coloniales, caractérisé par des normes et des rapports de force auxquels les élites régionales ont dû s’adapter. Il en résulte que l’ordre international postcolonial est caractérisé par des compromis entre les intérêts des grandes puissances et ceux des élites des anciennes colonies, avec des logiques d’interaction complexes et très différentes du modèle d’interaction caractéristique des rapports entre États européens. L’analyse de la politique étrangère des États périphériques doit prendre en compte la différence de ces trajectoires historiques et sociales particulières. La pratique de la politique étrangère est indissociablement liée, dans les pays du Sud, à un processus de formation de l’État encore largement en cours. Elle y est intrinsèquement liée aux conflits sociaux internes persistants, et interdits de ce fait toute approche en termes de cloisonnement interne-externe. Dans un grand nombre d’États dits périphériques, la domination étatique ne peut être dissociée des intérêts particuliers de groupes sociaux qui se sont appropriés les institutions étatiques officielles. Dans ce contexte, il semble presque impossible que le processus d’émergence de l’État suive le modèle européen, et dès lors, l’analyse de la politique étrangère y nécessite le recours à des approches nouvelles, qui échappent à la Foreign Policy Analysis anglo saxonne, comme à bien des modèles d’analyse européens.