Toute analyse d’une question internationale doit partir de la géographie, la réflexion internationale est obligée de s’appuyer sur les banalités ; elle est conditionnée par la réinterprétation des données géographiques. Les plaines, les montagnes, les fleuves les océans ne bougent pas ou plutôt, se déplacent selon des rythmes. Toute politique internationale est régie par l’immédiat, l’urgent, le destin des hommes de pouvoir (Richelieu, Bismarck, Staline, Roosevelt, Churchill, De Gaulle), ne se dissocie pas, d’une ambition poursuivie avec la certitude d’accomplir une mission. Mais chez ces personnages, cette ambition n’a de sens et de contenu que par rapport à l’occasion qui la cristallise. Saddam Hussein lorsqu’il envahit le Koweit, Bush quand il s’en prend à ce même Saddam, les États-Unis quand ils renversent le président du Panama, l’URSS lorsqu’elle envahit l’Afghanistan. À la fois, la fidélité à ce que l’on veut et une indifférence pour les plans bien établis, une totale disponibilité aux aléas, aux surprises, comme si, pour s’approprier l’avenir, il fallait le laisser venir à soi, l’apprivoiser, l’enfermer ou l’emprisonner... au moins pour quelque temps.
Or toute politique se développe au carrefour de plusieurs données, de plusieurs rythmes, rythmes secrets des sociétés, rythme de la puissance, rythme du jeu international, rythme accéléré des crises ou des guerres lors desquelles, brutalement, tout se rassemble, obligeant chacun à jouer avec ses forces et ses faiblesses. Alors arrive l’heure de l’inventaire, c’est-à-dire ce moment redoutable où chacun des adversaires, chacun des partenaires en présence, récence ce qu’il n’a pas, alors tout compte à ce instant. Toute période de tension conduit chacun des protagonistes à dresser un état plus ou moins approximatif de ses moyens et à tenter d’évaluer ceux de l’adversaire. Comme l’ensemble du domaine socio-politique, la politique internationale se définie au sein des données qui s’imposent à elle : l’espace, le nombre d’hommes, les ressources naturelles, les facteurs économiques et culturels. Ces données, si elles sont loin d’échapper à l’emprise des gouvernements, soulignent tout de même leur maladresse, ou encore leur désarroi au contact de ces mouvements de fond. Ici interviennent encore et toujours le temps et son inertie. Les États doivent faire avec, cela ne signifie pas qu’ils n’ont pas de capacités d’influence, mais tout simplement que leur intervention s’exerce dans et sur un monde qui leur échappe ou leur résiste passivement ou activement. Comment donc définir la politique étrangère ? La question vaut pour l’observateur comme pour le décideur.. Pour chacun d’eux, les paradoxes et les dilemmes sont nombreux. La politique étrangère reste bien l’instrument par lequel l’État tente de façonner l’environnement politique international, mais elle n’est plus seulement une affaire de relations entre gouvernements. Souvent considérée comme la gardienne des intérêts à long terme d’un État, elle subit elle-même pourtant d’importantes transformations permanentes. Au même titre qu’une politique économique ou qu’une politique de la santé, elle peut être vue comme une politique publique, c’est-à-dire une politique mise en œuvre par les services de l’État avec des moyens précis, dans le but d’atteindre des objectifs bien définis. Mais il s’agit d’une politique publique très particulière ; son rayon d’action dépasse par définition le territoire national. Elle consiste souvent à réagir ou à s’adapter à des évènements externes sur lesquels les décideurs n’ont aucune prise. Si son processus décisionnel est souvent plus opaque que pour d’autres politiques publiques, et considéré comme le « domaine réservé » des plus hauts responsables de l’État, il n’est plus pour autant l’instrument administratif docile d’une machine d’État à la poursuite d’un intérêt national clair.